Les Kerkennah, berceau du loude

Les îles Kerkennah sont un archipel tunisien de la mer Méditerranée situé à une vingtaine de kilomètres au large de Sfax en Tunisie. Il s’étend sur 35 kilomètres de long sur 7 à 8 kilomètres de large.

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Constitué de deux îles principales : l’île Gharbi au Sud-Ouest, l’île Chergui au Nord-Est et de quelques îlots : Gremdi, Lazdad à proximité de El Ataya et Roumadia à l’extreme Nord.
Les villages les plus importants sont Méllita, Ramla, El Abassia, El Ataya, Ennajet et Kraten.
La population …. 15 000 habitants est stable depuis des décennies, les jeunes vont travailler sur le continent, ou à l’étranger. Ils restent très attachés à leur racines et reviennent régulièrement au pays pour leur vacances.

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Localisation, toponymie et topographie de l’archipel de Kerkennah- SALINISATION DES SOLS ET EXTENSION DES SEBKHAS SUR L’ARCHIPEL DE KERKENNAH DEPUIS 1963 – d’après Lucile ETIENNE 2015.

L’altitude y est très faible, inférieure à 2,5 mètres en général, le point culminant est à 13 mètres.
Le climat y est semi-aride avec très peu de précipitations, moins de 200 milimètres par an et un déficit hydrique important, ce qui favorise la remontée de la nappe phréatique salée par capillarité.

Du point de vue géologique, l’archipel est constitué par des formations meubles, en particulier des limons rouges favorables à l’érosion marine, avec une prédominance des sols salés qui couvrent près de la moitié de la superficie totale.
Quant à la tectonique, ce sont les structures cassantes qui dans un contexte de distension sont prédominantes, des failles en touches de piano soulevant des horsts et affaissant des grabens aujourd’hui occupés par les sebkhas.
Une subsidence de plusieurs mètres depuis l’antiquité est atestée par la submersion de quelques sites, comme à Borj Lahsar l’ancienne Cercina.

La végétation est constituée par une palmeraie clairsemés, fragilisée par l’action de l’homme avec le déclin de l’intérêt porté au palmier, l’extractions du sel, les carrières de sables illicites, une irrigation non maîtrisée et le surpâturage..

L’archipel des Kerkennah constitue un écosystème fragile qui doit faire face à deux problèmes majeurs, à savoir : un rapide recul du trait de la côte et une extension continue des sebkhas au détriment de la palmeraie dont les arbres sont en train de mourir par centaines.

Voir l’article de Noômène FEHRI (2011)

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Les îles sont entourées d’un vaste plateau continental de 0,5 à 1 mètre de profondeur seulement, entaillé par un réseau d’oueds sous marin, créant un écosystème riche en ressources halieutiques. L’oued Mimoun permet aux petits chalutiers d’accèder au port de pêche d’El Ataya.

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Cette configuration fait de l’archipel des Kerkennah une citadelle imprenable, qui faisait le bonheur des pirates et des contrebandiers, uniquement accessibles aux bateaux traditionnels à fond plat tels que le loude.

En raison de son climat aride, l’archipel ne permet qu’une agriculture de subsistance et c’est tout naturellement vers la mer que les habitants se sont tournés. Ils ont développé des techniques artisanales de pêches particulièrement bien adaptées à leur environnement, ils ont toujours construit leur bateaux, des Loudes jusque dans les années 60 et maintenant des félouques gréees d’une voile latine, mais de plus en plus équipées d’un moteur hors-bord.

Les cherfiyas sont des pêcheries fixes installées perpendiculairement aux courants dans des petites dépressions paralelles à la côte.

filets-2Elles sont également disposées le long des oueds sous marins

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Le mur d’une centaine de mètres est traditionnellement constitué par des palmes fichées dans le sable, il conduit le poisson à la marée descendante vers une chambre de capture en forme de ‘V’ pointant vers le jusant, réalisée en cannis ou en filets maintenus par des pieux, qui se termine par une chambre des morts où sont disposées des nasses, régulièrement relevées.

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Photo de Yann Arthus Bertrand
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La pêche au filet de type tramail

La pêche au tramail tend de plus en plus à se développer, c’est une technique qui se pratique loin des côtes. Le filet est long de 50 à 70 mètres avec des flotteurs d’un côté et lesté de plombs de l’autre.

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« La nappe centrale à des mailles plus fines que celles des filets latéraux. Le poisson peut franchir les larges mailles du premier filet, mais il viendra buter contre celles du filet central. Entrainé par l’élan du poisson, ce filet formera une bourse qui débordant à travers les mailles du troisième, retiendra le poisson captif. » (Cf. UNESCO 1981 page 91).

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Il faut encercler le poisson, battre la mer ou tapper sur les barques pour l’effrayer, ceux ci viendront se mailler dans les replis du filet.

La pêche aux nasses

Cette pêche se pratique avec des nasses isolées ou avec des palangres de 12 à 25 nasses espacées de 3 à 4 mètres. Elles sont disposées sur les hauts fonds et en bordure des fosses. Appâtée avec de la chair de poulpe fixée avec une cordelette, elles sont relevées après 3 ou 4 jours d’immersion. Les prises y sont aléatoires et ce type de pêche ne peut être qu’accéssoire.

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HENNIQUE Privat Agathon – 1888 – Caboteurs et pêcheurs de Tunisie.

Les nasses étaient confectionnées avec les brindilles des régimes de dattes qui ont la propriété de ne pas pourrir, actuellement elle sont réalisées avec du fer à béton et du grillage !

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La pêche aux muges … aux claies flottantes (sautade ou dammasa)

le principe : encercler le banc de muges avec des filets verticaux, disposer des claies flottantes horizontales autour du cercle, faire du bruit pour affoler le poisson qui saute pour fuir et tombe sur les claies.

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HENNIQUE Privat Agathon – 1888 – Caboteurs et pêcheurs de Tunisie.

La pêche aux poulpes ….

Pêche très pratiquée et très fructueuse, des pots de terre cuite sont immergés dans les quels le poulpe vient s’y cacher pour mieux guetter sa proie.
Le poulpe est ensuite battu, lavé, séché et vendu sur le continent. En 1976 pas loin de 400 tonnes de poulpes ont été pêchés aux Kerkennah ! (cf. Rapport UNESCO 1981).

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Les éponges …

Déjà les Romains utilisaient les éponges, mais c’est sutout au début du XIX ème siècle que la pêche aux éponges a pris de l’ampleur dans la région de Sfax. Les années 1860 ont vu le marché exploser. Cette époque faste a pris fin dans les années 50 avec l’arrivée des éponges synthétiques.

La pêche aux éponges peut se faire à pieds mais c’est surtout avec des barques ou des loudes qu’elle se pratiquait, profitant de la transparence de l’eau, l’éponge repérée était cueillie à l’aide d’une foëne. Certains pêcheurs plongeaient en apnée pour les récupérer.

Les italiens ont introduit la gangave, une sorte de chalut traînant à armature de bois et  de métal, large de 6 à 12 mètres qui raclait le fond, détruisant la faune sous-marine. Cette technique permettait de draguer les fonds de 20 à 50 mètres.

Puis les grecs ont pêché au scaphandre avec de bateaux de 30 à 50 tonnes, les éponges étaient traitées directement à bords et entreposées dans les cales.

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Problèmes actuels de la pêche traditionnelle aux Kerkennah

Depuis quelques dizaines d’années la pêche traditionnelle est menacée par les chaluts et la pêche illégale au Kiss ou gangave qui raclent les fonds marins. La ressource s’épuise et les plantes abritant les zones de reproduction sont détruites. Une legislation existe, mais  dans un contexte politique difficile les lois ne sont pas respectées. Les pêcheurs se sont lancés dans des actions de revendication. En décembre 2012 avec une centaine d’embarcations traditionnelles ils sont allés jusqu’à Lampéduza en Italie pour alerter la communauté internationale et faire entendre leur cause.